Pour une écologie du « nous »

La notion d’écologie est prise ici dans le sens d’écosystème qui prend en compte les interactions d’un organisme vivant : une personne, d’une famille ou une organisation sociale. L’écologie du « nous » a pour souci la survie, le développement et l’épanouissement du groupe et des personnes qui le compose dans un environnement donné.

Synthèse de l’article 

Les interactions dans la rencontre et le vivre ensemble de deux personnes peuvent être prises en compte dans différents domaine : apprentissages, pouvoir, valeurs, projet de vie, résistances. Chaque personne organise sa vie et structure sa posture singulière autours de cercles de valeurs. Les cercles de la résistance sont essentiel dans l’écologie du « nous ». Ils caractérisent les espaces de survie : rigidité et résilience, les espaces de développement pérenne : plasticité des apprentissages et des dépendances et enfin les espaces de non influence pérenne : la flexibilité (sans mémoire résiduelle)

Dans le vivre ensemble au quotidien (ménage) comme dans la relation d’accompagnement temporaire (coaching) l’atteinte d’une zone de rigidité est toujours à risque (menaces, dangers et opportunités). Dans l’écologie du « nous » chacun peut devenir plus conscient de ses limites et de ses fragilités ainsi que de celle de l’autre et du groupe. Ainsi il prend davantage en main son devenir et les conséquences de ses actes.

L’analyse du fonctionnement en réunion d’un petit groupe de pilote de projet révèle les difficultés de faire converger, à chaque instant, les valeurs humaines partagées et les valeurs stratégiques d’engagement personnel. Ce microcosme est très représentatif des difficultés à intégrer l’autre dans sa dimension d’étranger. Chacun vit pleinement « sa nature » inscrite dans sa communauté de destin. Le projet est, à son niveau d’organisation, une communauté de territoire regroupant des communautés de destin singulières : dans le groupe des pilotes, dans l’équipe projet et dans l’ensemble des personnes qui seront impactées par le projet.

Développer l’écologie du « nous » dans un groupe projet comme dans un territoire urbain interroge et s’inscrit dans la mise en œuvre d’une gouvernance contextualisé. L’une des lois du vivant est d’accepter la rencontre de l’étranger et de favoriser la synergie produite par la diversité culturelle. Cela ne peut se faire sans en accepter le prix à payer : l’agression et la violence psychique à l’encontre des rigidités singulières et collectives des organisations hôtes.

L’écologie du « nous » doit s’inscrire dans les modalités de gouvernance contextuelle. Elle est au cœur de la régulation, premier pilier de la gouvernance. La régulation de la vie du groupe est la première dimension de ce pilier de la gouvernance. La régulation des modalités de prise de décision et d’adaptation de ces modalités aux différents contextes est la seconde dimension de la gouvernance contextuelle.

L’écologie du « nous » dans un contexte d’innovation sociale présente un caractère paradoxal. La finalité de l’écologie du « nous » est de respecter chacun et le groupe. La finalité de l’innovation sociale est d’imposer un changement à un groupe qui majoritairement ne le demande pas ou ne le veut pas (si non cela aurait déjà été mis en place). Dans le cadre d’une innovation sociale l’écologie du « nous » se tournera de manière préférables vers des expérimentations concrétisées sur le terrain, pas à pas, intégrant des retours d’expériences et la célébration de petits résultats.

La violence induite par les démarches d’innovation sociales résultent des logiques de pouvoir, de la complexité des relations humaines tout autant que du décalage temporel des différentes communautés de vie. Nous n’avons pas tous le même âge mental face aux mutations sociales.

Introduction

La notion d’écologie est comprise ici dans le sens d’écosystème : prendre en compte les interactions d’un organisme vivant quelque soit l’échelle d’organisation (ex. le fonctionnement du cerveau humain, d’une personne, d’un couple, d’une famille ou d’une organisation sociale, association, entreprise, municipalité, etc.). La réflexion peut même être étendue à un système d’idée considéré comme un système vivant. L’intérêt de réfléchir à l’écologie du « nous »  indépendamment du niveau d’organisation est de se focaliser sur  les « lois du vivant » qui régissent l’ensemble des organismes vivants : survie de l’individu, survie du groupe, exigence de la diversité : biodiversité pour la dimension biologique et diversité culturelle pour l’espèce humaine.

L’écologie du « nous » a pour souci la survie, le développement et l’épanouissement du groupe et des personnes qui le compose dans un environnement donné. Les enjeux que cet article aborde, concernent les opportunités, les menaces et les dangers du vivre ensemble dans un niveau d’organisation donné et aussi à travers les interactions entre les différents niveaux d’organisation. Nous allons nous focaliser sur les interactions dans la relation de couple (ménage ou relation de coaching) pour poser le vocabulaire nécessaire à la réflexion puis sur le cas d’un petit groupe, pilote d’un gros projet pour illustrer et identifier les modalités de fonctionnement de cet écosystème (sa gouvernance).

Les interactions dans la rencontre de deux personnes

Chaque personne peut se représenter à travers différents schémas de fonctionnement :

  • Les cercles de l’apprentissage : apprentissage – épanouissement -dépendance
  • Les cercles du pouvoir d’agir : maîtrise – influence directe – influence indirecte – non influence
  • Les cercles des valeurs : posture de présence de bienveillance et de don de soi – posture d’engagements, de combats  et d’actions  – posture de prise de recul et de sagesse
  • Les cercles du projet de vie : Essentiel – Important – Jeu (relation aux temps affectés à ces différentes activités.
  • Les cercles des « résistances » : Rigidité – Plasticité – Flexibilité (approfondit ci-après)

Le dernier des cercles est essentiel dans l’écologie du « nous ». Il caractérise les espaces de survie : rigidité et résilience, les espaces de développement pérenne plasticité des apprentissages et des dépendances et enfin les espaces de non influence pérenne : la flexibilité sans mémoire résiduelle. Quand une personne est agressée dans son espace de rigidité, soit elle résiste (le chêne) soit elle casse, soit encore elle développe une forme de résilience sectorielle. Sa survie, son projet de vie et son intégrité sont alors en grand danger. A l’opposé dans les zones de frottement en flexibilité il n’y a aucun enjeu pour la personne. C’est dans l’entre deux ou se positionnent la faculté d’autonomie, de développement et de prise en main de sa transformation. C’est l’espace de plasticité pérennisée. Il existe bien sur un continuum entre ces différents espaces. Dans ce continuum, toutes les familles de cercles sont en interaction.

Dans le vivre ensemble au quotidien (ménage) comme dans la relation d’accompagnement temporaire l’atteinte d’une zone de rigidité est toujours à risque (menaces, dangers et opportunités). Dans l’écologie du nous chacun peut devenir plus conscient de ses limites et de ses fragilités ainsi que celle de l’autre et du groupe. Ainsi il prend davantage en main son devenir (Voir support spécifique).

 Les modalités pratiques de gouvernance d’un groupe, pilote de projet 

Le fonctionnement d’un groupe projet intègre beaucoup plus de paramètre à prendre en compte pour assurer une gouvernance lucide en phase avec l’écologie du « nous ». Il existe un petit « nous » les pilotes du projet, un « nous » intermédiaire : l’équipe complète du projet en associant les partenaires et enfin le grand groupe des usagers ou utilisateurs des résultats (produits et services) du projet. Décrivons un exemple avec cinq pilotes de projet chacun responsable du développement d’une stratégie, pilier du projet global.

Jacques est responsable d’une association complètement investi dans les valeurs humaines et stratégiques de cette association. Son profil psychologique est plutôt celui d’un militant fédérateur, d’un rassembleur, influent mais non dominant. Eliane investi dans le cœur du projet a le charisme pour mobiliser des personnes. Toute en émotions elle est focalisée sur la bienveillance du « nous » et le respect de chacun. Sa résilience est faible par rapport aux agressions dans sa sphère de rigidité. Les agressions sont de nature diverses (postures, complexité, mode de pensée). Annie plus petite et méthodique est hyper rationnelle. Elle ne s’en cache pas. Ses exigences sont autant dans la forme que dans le fond des propos. Elle est ressource pour reformuler et clarifier. Claire investie dans plusieurs associations est militante et très proche d’Eliane dans le souci du « nous » de la bienveillance. Elle exerce et exprime clairement son besoin de respect de soi (son « nous interne »). Cependant elle possède la capacité dans le respect de ce souci du nous d’imposer sa posture de dominante. Et enfin Pierre place une autre posture de dominance naturelle par la voie de l’engagement dans un combat (missionnaire mais non militant). Très organisé sur la forme, il fonctionne à l’intuition sur le fond en prenant en compte une complexité difficile à faire comprendre et à partager.

Les cinq personnes sont engagées dans les valeurs humaines de bienveillance et de respect de l’autre, mais chacune dans le cadre de ses dispositions psychiques et dans ses postures de pouvoir. Ce faisant chacun arrive à agresser l’un ou l’autre des partenaires. Chaque partenaire dispose de ressources personnelles plus ou moins grandes pour résister à ces agressions. Chacun a ses priorités : urgences temporelles et opérationnelles, urgences fondamentales et essentielles etc. Chacun est dans le concret de sa vie. Faire confiance à l’autre dans les prise de position n’et pas toujours évident. Eliane s’épuise vite des qu’elle est agressé. Elle vit à 100% de son énergie disponible. Pierre au contraire roule à un train de sénateur. Il n’use guère plus que 60% de son énergie et n’a guère besoin de pauses. Sa régulation interne le ressource en continu. De facto Pierre agresse Eliane par le différentiel énergétique et aussi par la faible résilience émotionnelle d’Eliane. Pierre et Claire sont en agression réciproque fréquente par leurs postures de dominants naturels. Il n’y a pas de recherche ou d’attirance à prendre le pouvoir. La dominance est installée comme le besoin de respirer. Jacques agresse Pierre par sa posture militante et Annie l’agresse aussi par son exigence sur la forme. Pierre agresse à son tour chaque partenaire par sa posture de combat et de déstabilisateur pour faire bouger les lignes.

Ce microcosme est très riche de sa diversité. Il est très représentatif des difficultés à intégrer l’autre dans sa dimension d’étranger. Chacun vit pleinement « sa nature » inscrite dans sa communauté de destin. Le projet est, à son niveau d’organisation, une communauté de territoire regroupant des communautés de destin singulières : dans le groupe des pilotes, dans l’équipe projet et dans l’ensemble des personnes impactées par le projet. L’une des lois du vivant est d’accepter la rencontre de l’étranger et de favoriser la synergie produite par la diversité culturelle. Cela ne peut se faire sans accepter le prix à payer : l’agression, la violence psychique à l’encontre des rigidités singulières et collectives des organisations hôtes. N’oublions pas que la première des violences est la souffrance psychique dont la plus terrible est l’humiliation. Toute fois, pour le bien commun, toute confrontation à un changement conséquent de ses pratiques induit des souffrances psychiques soit cognitives, soit affectives, soit émotionnelles ou encore relationnelles.

Développer l’écologie du « nous » dans un groupe projet comme dans un territoire urbain interroge et s’inscrit dans la mise en œuvre d’une gouvernance du groupe et de la communauté.

L’écologie du « nous » dans une gouvernance contextuelle

L’écologie du « nous » doit s’inscrire dans les modalités de gouvernance contextuelle. Elle est au cœur de la régulation, premier pilier de la gouvernance :

La régulation de la vie du groupe est la première dimension de ce pilier de la gouvernance

  • Intégration des nouveaux, et des personnes à disponibilité aléatoire
  • Explicitation et mise en œuvre des valeurs humaines (qualité du chemin parcouru ensemble, cohérence entre le dire et le faire)
  • Gouvernance en cohérence au niveau des valeurs humaines comme des intentions associées aux valeurs stratégiques d’engagement
  • Mise en œuvre d’une « écologie du nous » et de la convivialité par le soin du « je », de « l’autre » et du « nous » au sein du groupe dans la régulation des tensions.

La régulation des modalités de prise de décision et d’adaptation de ces modalités aux différents contextes est la seconde dimension de la gouvernance contextuelle et évolutive. Nous connaissons les modalités directives, semi directives et collectives de prise de décision. Nous connaissons aussi les modalités collectives dites démocratiques : tirage au sort, vote avec confrontation radicale, recherches de compromis, recherche de consensus, recherche de réduction des tensions évitables. Ces modalités questionnent la pertinence, l’efficacité, l’efficience et l’agilité propre à chaque décision.

Ces deux dimensions de la régulation caractérisent la gouvernance de la gouvernance, premier pilier de la gouvernance. Il est essentiel que ces modalités soit le fruit d’élaboration collective et le plus consensuelle possible. Cette validation partagée permettra des économies de ressources et l’augmentation de l’agilité par la possibilité de délégation cadrées et contrôlées. N’oublions pas qu’à l’origine le terme de « dictature » (empire romain) signifiait dicter la loi dans un cadre très strict spatiotemporel pour être agile quand écrire la loi (tailler la pierre) prenait trop de temps.

Pour mémoire les autres piliers de la gouvernance sont : la mission (ou raison d’être), la gestion des ressources et de leur adéquations aux missions, la gestion de la documentation, de l’explicitation des actions et de la formation des acteurs concernés. A titre d’exemple une équipe d’élus municipaux définit les modalités singulières de gouvernance dans le respect de la loi, développe et met en œuvre la mission programme pour laquelle l’équipe a été élue, gère les ressources humaines, matérielles documentaires et les équipements municipaux et enfin informe forme et explicite la politique mise en œuvre. (Voir support spécifique )

L’écologie du « nous » dans un contexte d’innovation sociale

Nous somme dans ce cadre confronter à un paradoxe : La finalité de l’écologie du « nous » est de respecter chacun et le groupe. La finalité de l’innovation sociale est d’imposer un changement à un groupe qui majoritairement ne le demande pas ou ne le veut pas, ne l’a pas encore voulu (si non cela aurait déjà été mis en place). L’innovation repose donc sur un principe d’action d’un groupe minoritaire sur une population aux contours mal définis, imposant une prise de risque volontaire (opportunités, menaces, dangers) à une majorité de personnes « moins éclairées ?? » qui à priori ne le veulent pas, sont conservateur et friand du « zéro risque » conduits par la peur d’agir et de toute forme de changement.

Le paradoxe se résous par la mise en œuvre de stratégies et méthodes ago antagonistes : gestion et maîtrise des risques, conduite du changement, accompagnement des personnes ou groupes fragilisés. La démarche d’innovation sociale a la capacité de prendre en charge cette forme de « colonisation violente » des esprits et des modes de vie par les démarches d’accompagnement et de prévention. A contrario les innovations technologiques imposent à la société des modifications radicales sans aucune réflexion ou validation préalable ni accompagnement social. La mise sur le marché du smartphone a déstabilisé en très peu d’années notre rapport au temps, jusqu’aux plus hautes instances de gouvernance de la nation. Rappelons pour en finir que l’innovation sociale n’est pas forcement lié à une invention mais plus souvent au changement des règles du jeu, du comportement et des lois. Elle n’en reste pas moins violente dans ses effets.

L’écologie du « nous » dans le cadre d’une innovation sociale implique la navigation sous régime de tempête plus ou moins contrôlée : régulation, déstabilisation, accompagnement, protection des plus faibles. L’innovation s’initie par l’intention d’une minorité porteuse de valeurs humaines et stratégiques au service du bien commun. Nul ne peut en prédire les résultats. Mettre en marche un groupe est très difficile (résistance au changement, forces de frottements). Une fois le groupe en mouvement il devient plus facile de le manœuvrer dans un sens ou dans l’autre. Personne ne détient à priori les clés du pouvoir des forces minoritaires en interaction avec le changement désiré. L’avenir n’est pas inscrit dans les intentions et objectifs du projet initial c’est juste une orientation de départ. Le cheminement change la destination comme les voyageurs. Le résultat ne se constate que bien des années après. Dans le cadre d’une innovation sociale, l’écologie du « nous » se tournera de manière préférables vers des expérimentations concrétisées sur le terrain, pas à pas, intégrant des retours d’expériences et la célébration de petits résultats pour tenir dans la durée.

La violence, les souffrances induites par les démarches d’innovation sociales résultent des logiques de pouvoir, de la complexité des relations humaines tout autant que du décalage temporel des différentes communautés de vie. Nous n’avons pas tout le même âge de maturité sociale et cognitive pour faire face aux diverses mutations sociétales : numériques, environnementales, familiales, migratoires industrielles économique religieuses et politiques.

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